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Sécurité, vidéosurveillance et construction de la déviance : l’exemple du centre-ville de Lyon
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Un article de Christophe Bétin extrait de la revue Déviance et Société (2003/1, vol. 27) à propos de la fabrique de la déviance comme prétexte au déploiement de la vidéosurveillance.
Pensée comme un simple outil destiné à endiguer ou réprimer les comportements et les actes « délictueux » sur l’espace public, la vidéosurveillance s’impose depuis quelques années maintenant comme l’un des moyens à disposition des municipalités pour garantir la sécurité des biens et des personnes. Profitant à ce titre de la prétendue « neutralité » de la technique, elle se situerait comme « en dehors »des enjeux et des antagonismes sociaux et échapperait de facto aux logiques et représentations des gestionnaires de la sécurité publique. De fait, les modes de légitimation de la vidéosurveillance restent le plus souvent dans l’implicite, tant ses fonctions et ses usages tendent à s’imposer dans le registre de l’évidence, pour reprendre la formule de B. Rochette et E. Marchandet (1998). Mais ces deux auteurs de poursuivre : les techniques ne sont jamais de simples adjuvants instrumentaux à des pratiques qu’elles viendraient seulement rationaliser, elles sont l’expression d’une culture et elles la modifient. Il ne fait pas de doute, cependant, que, comme la science, la technique semble s’autonomiser et devenir à elle-même sa propre fin, et les questions de l’utilité sociale et de la possibilité technique ont tendance à inverser leur ordre de préséance. On se demande d’abord si on peut le faire, et, dans l’euphorie du faire, la question de l’utilité disparaît ; et, plus généralement, la question des déterminants sociaux et des effets sociaux de ce qui a été fait (Rochette, Marchandet, 1998,185).
Notre propos se situe dans cette perspective. À partir de l’exemple lyonnais, nous souhaitons montrer que la vidéosurveillance se construit d’abord sur la base de rapports sociaux conflictuels, qu’elle est imprégnée de représentations, qu’elle s’inscrit dans des dispositifs institutionnels aux prises avec des logiques économiques, politiques, culturelles et symboliques, pour finalement contribuer à redéfinir les normes sociales qui président à la qualification des pratiques déviantes. Dans un premier temps, nous allons donc nous pencher sur ce qui « fait culture »en matière de sécurité publique pour ensuite observer comment la mise en œuvre d’une politique sécuritaire est l’occasion de durcir les représentations sociales à l’œuvre. Enfin, au regard des usages de la vidéosurveillance et du travail (social) d’exploitation des images, nous poserons la question de la construction des faits de déviance.
Plan de l’article :
I. Les « prêt-à-penser » de la sécurité
1. Les commerçants et les habitants de la Presqu’île face à l’insécurité…
2. … ou comment le « jeune de banlieue » devient la figure emblématique de la délinquance
3. L’invention d’une nouvelle catégorie : la « délinquance d’importation »II. La vidéosurveillance :une réponse aux pressions des groupes sociaux influents ?
1. Le diagnostic local de sécurité :quand le chiffre vient consolider la représentation sociale
2. La vidéosurveillance, clé de voûte du Contrat local de sécurité
III. Quand le réel doit se plier à la représentation collective
1. Rendre la vidéosurveillance intelligente
2. Les déterminants sociaux et économiques à l’œuvre dans le travail d’objectivation des images
3. De l’anticipation de la délinquance à la qualification de ses supposés prodromes